Entretien croisé avec les commissaires de l'Année britannique

Une Année britannique au musée ! est composée de deux expositions : British Stories au musée (19 mai-19 septembre 2021) et Absolutely Bizarre ! à la Galerie (10 juin-17 octobre 2021) conçue avec la collaboration exceptionnelle du musée du Louvre et en partenariat avec le Bristol Museum & Art Gallery.  
 
Le commissariat est assuré par Sophie Barthélémy, directrice du musée des Beaux-Arts de Bordeaux, Sandra Buratti-Hasan, directrice adjointe du musée des Beaux-Arts, conservatrice des collections XIXe-XXe siècles et Guillaume Faroult, conservateur en chef au musée du Louvre, en charge des peintures françaises du XVIIIe siècle et des peintures britanniques et américaines. Pour Absolutely Bizarre !, en collaboration avec Jenny Gaschke, conservatrice des collections européennes avant 1900 au Bristol Museum & Art Gallery. 
 
 
Cette Année britannique ! s’inscrit dans le cadre de la convention triennale que la Ville de Bordeaux a signée avec le musée du Louvre en 2019. Comment avez-vous pensé cette seconde édition ?  
 
Sophie Barthélémy : Cette seconde édition est le fruit d’un dialogue nourri avec le musée du Louvre et l’occasion, bien sûr, de croiser nos collections. Au regard de la situation sanitaire actuelle, nous avons décidé d’un commun accord avec nos partenaires de consacrer toute une année à ce programme. Les deux expositions, prévues initialement aux mêmes dates, vont donc se succéder. De manière générale, les Bordelais sont dans l’attente de découvrir dans leur ville les grands chefs-d’œuvre de l’histoire de l’art. Ils pourront admirer, dans la première exposition intitulée British Stories la très belle collection du musée aux côtés de toiles des maîtres du Louvre, dont le fameux Master Hare de Reynolds.  
 
 
 
Le 10 juin 2021, à la Galerie des Beaux-Arts, une deuxième exposition sur l’École de Bristol offrira un véritable travail d’historien de l’art et de défrichage. C’est une approche originale que nous proposerons aux visiteurs. Absolutely Bizarre ! réunira des œuvres savoureuses, surprenantes, fantasques même, mêlant humour anglais et univers fantastiques.  
 
Ces deux expositions permettront donc de proposer deux points de vue complémentaires sur la peinture britannique. Dès mon arrivée au musée en 2014, j’ai eu le souhait de valoriser notre collection d’art britannique qui comprend des signatures prestigieuses, notamment de grands portraitistes anglais. Je suis donc très heureuse que le public puisse prendre plaisir à la découverte de toutes ces œuvres.  
 
Guillaume Faroult : En tant que conservateur des peintures britanniques au Louvre, j’étais séduit depuis longtemps par la poésie si subtile de Francis Danby, le peintre le plus célèbre de l’École de Bristol et que Turner lui-même admirait ! Je souhaitais vivement qu’une de ses peintures entre au Louvre, ce qui a été possible grâce à la générosité du collectionneur américain Christopher Forbes qui a donné au musée en 2011 le très spectaculaire Christ marchant sur les eaux qui sera présenté justement dans l’exposition Absolutely Bizarre ! l’année prochaine. 
 
 
En 2013, j’ai pu découvrir la très belle présentation des peintres de l’École de Bristol proposée dans le musée de la ville et due à Jenny Gaschke. Je crois que c’est à partir de ce moment que j’ai souhaité pouvoir organiser une exposition sur ce foyer artistique, si singulier et si méconnu, même en Angleterre ! À Bristol, Francis Danby et ses émules ont su inventer un type de paysage très particulier qui rend bien compte de la beauté naturelle du site tout en y instillant avec une grande subtilité les signes de la modernité urbaine. On songe souvent à l’atmosphère des romans de Jane Austen devant ces tableaux. Mais j’avoue avoir un faible pour le peintre le plus marginal de ce foyer artistique : Samuel Colman dont l’œuvre est à la fois fantastique, tragique parfois et souvent burlesque, « sublime » en un mot ! À mon sens, il prolonge cette verve satirique typiquement britannique issue du peintre William Hogarth et des grands caricaturistes anglais ainsi que l’inspiration fantastique qui culmine à la génération romantique dans les chefs-d’œuvre de John Martin ou de Turner.  
Aussi lorsque Sophie Barthélémy et Sandra Buratti-Hasan m’ont proposé de réfléchir à une collaboration autour de la peinture britannique, le choix de l’École de Bristol s’est imposé d’autant que les deux villes, Bordeaux et Bristol, sont liées.  
 
Cette Année britannique regroupe deux expositions et des événements, comment s’inscrit-elle dans le projet du musée ?  
 
Sandra Buratti-Hasan : Le musée des Beaux-Arts a très tôt organisé des expositions s’intéressant à la peinture britannique, dans toute sa variété. Dès 1945, l’exposition La peinture contemporaine en Angleterre présente les œuvres d’une quarantaine d’artistes, dont Frank Brangwyn, Robin Guthrie et Walter Sickert. En 1950, le musée accueille des collections provenant de Bristol, ville avec laquelle Bordeaux s’était jumelée trois ans plus tôt. En 1972, il organise Bristol et ses peintres au XIXe siècle à l’occasion des 25 ans du jumelage et, en 1974, l’exposition La peinture anglaise des années 60. À nouveau, en 1977, le public bordelais peut découvrir La peinture britannique de Gainsborough à Bacon où le Master Hare est déjà présenté. Le musée avait aussi participé au regain d’intérêt pour l’art britannique en collaborant en 1996 avec le musée Bonnat de Bayonne pour Characters : Les portraitistes anglais XVIIIe-XIXe dans les musées d’Aquitaine. Près de 25 ans plus tard, le musée des Beaux-Arts se devait d’accueillir de nouveau dans ses murs cette rétrospective de peintures britanniques et de mener un travail de fond sur ces artistes, peu étudiés et publiés.  
 
Sophie Barthélémy : Dans la tradition de précurseur et de découvreur qui est la sienne, le musée dévoilera, dans l’exposition Absolutely Bizarre !, des thématiques peu connues du public mais que nous avons à cœur de lui présenter. Il n’y a jamais eu d’exposition sur l’École de Bristol en dehors de l’Angleterre et seul l’artiste Francis Danby est présent dans les collections du Louvre, comme le rappelle Guillaume Faroult. Au-delà des expositions, c’est aussi l’occasion de réinterroger la constitution de la collection britannique du musée, et plus particulièrement à travers l’étude des œuvres « Musées Nationaux Récupération ou MNR » qui évoque, derrière ce sigle, le destin tumultueux d’œuvres d’art récupérées en Allemagne après la Seconde Guerre mondiale et confiées à la garde des musées nationaux. Ce travail de recherche et d’étude sur les œuvres donnera lieu au premier catalogue raisonné des collections britanniques du musée de Bordeaux mais aussi à un colloque sur l’art du portrait, organisé en association avec les Universités de Toulouse-Jean Jaurès et de Bordeaux-Montaigne les 15-17 septembre 2021.  
 
Vous évoquez les drôles histoires de l’École de Bristol, pouvez-vous nous en dire plus ?  
 
Jenny Gaschke : Les artistes de l’École de Bristol aimaient se rencontrer pour dessiner à la campagne, comme tous ceux de l’époque romantique. À Leigh Woods, près des gorges de l’Avon, les artistes adoraient jouer de la guitare et pique-niquer, mais ils avaient aussi un vif intérêt pour les sciences et la technologie. Ils voulaient peindre de grandes scènes sublimes, dignes de l’Académie royale, mais ils étaient en même temps profondément engagés socialement – comme on peut le voir dans leurs scènes satiriques de la vie à Bristol et leurs images des émeutes qui enflammèrent la ville en 1831.  
 
Une anecdote de leur époque est particulièrement croustillante : en 1817, l’artiste Edward Bird peint le portrait d’une jeune femme élégante, vêtue d’une robe de soie jaune et portant un turban blanc fait de plumes de paon. Elle pose devant des temples indiens et des palmiers. Cette jeune femme, présentée comme la Princesse Caraboo de Java, était en fait Mary Baker, fille d’un cordonnier du Devonshire. Elle avait inventé un langage incompréhensible afin de persuader ses hôtes et le grand public qu’elle était une Indonésienne de haut rang, qui avait été capturée par des pirates. Elle a été capable de maintenir la tromperie pendant dix semaines, et ce de manière tout à fait remarquable.  
 
 
Vous avez construit une riche programmation culturelle pour cette Année, quelle est la génèse de ces partenariats ?  
 
Sophie Barthélémy : Parallèlement aux visites classiques, dédiées à la parfaite contemplation des œuvres, l’équipe conçoit des moments où le musée des Beaux- Arts devient un lieu vivant, ouvert et mouvant dans lequel le public rencontre des acteurs de tous horizons.  
 
Des partenariats avec une dizaine d’institutions culturelles permettront ainsi de proposer une vaste programmation pluridisciplinaire, au sein du musée et dans toute la métropole : concerts, rencontres et parcours, avec par exemple l’Opéra National de Bordeaux, la Bibliothèque Mériadeck, la librairie anglophone Bradley’s Bookshop, l’école de langue Kids&Us ou encore Station Ausone-Librairie Mollat, pour ne citer que quelques projets. Je tiens aussi à souligner le partenariat du musée avec SNCF Gares & Connexions pour l’organisation d’expositions de reproductions, en gare de Bordeaux Saint-Jean et d’Agen (30 avril-30 juin). Elles permettront d’offrir aux voyageurs une découverte surprenante de l’art britannique.  
 
C’est en raison de cette riche programmation qu’il ne s’agit pas seulement d’expositions mais bien d’une « Année britannique », organisée par le musée. 
 
 
Entretien à distance entre les commissaires Sandra Buratti Hassan et Guillaume Faroult © F. Deval

Entretien à distance entre les commissaires Sandra Buratti Hassan et Guillaume Faroult © F. Deval