Luca GIORDANO, "Dispute des philosophes" et "Dispute des théologiens"

(Naples, 1632 – Id., 1705)

Dispute des philosophes

Huile sur toile.
Hauteur. 120 cm. Largeur. 175 cm.
Historique : Ancienne collection Lacaze .
Achat de la Ville, 1829.

 

Dispute des théologiens

Huile sur toile.
Hauteur. 122 cm. Largeur. 177 cm.
Historique : Ancienne collection Lacaze .
Achat de la Ville,  1829.


L'attribution traditionnelle de ces deux Disputes à Luca Giordano fut abandonnée en 1842 par Lacour fils au profit de Jose de Ribera (Valence, 1591 - Naples, 1652), le maître de Giordano. Les auteurs des catalogues suivants maintinrent la nouvelle attribution jusqu’à Henri de la Ville de Mirmont qui proposa de revenir à 1'attribution donnée par les sources. On reconnait en effet le coup de pinceau rapide et chargé de la manière riberesque de Giordano, avec ses empâtements caractéristiques sur les visages pour marquer les luisances de la peau et sa façon de modeler le volume des chairs en se servant de la préparation brune-violette de la toile.

Ce type de tableau entre dans la catégorie des Disputes, un genre inspiré de l'épisode biblique de Jésus discutant dans le temple avec les docteurs, et de l’École d'Athènes de Raphaël, qui permettait de mettre en scène, dans un but moralisateur conforme aux principes d'austérité et de dénuement de la Contre-Réforme, le personnage édifiant et populaire à Naples du mendiant prophète ou philosophe. Les titres divers (Réunion de philosophes, de théologiens, Conciliabule) donnés à ces deux œuvres par les rédacteurs des catalogues sont restés vagues en raison du manque d'attributs précis. Leurs dimensions très voisines sont les seuls éléments concrets qui font de ces tableaux énigmatiques des pendants (alors qu'il semble que le marquis de Lacaze les avait acquis séparément). Leur but serait de confronter, à l'aide d'exemples tirés de l'histoire antique, la théologie et la philosophie.
La Dispute de théologiens, montre sept personnages à l'allure de prophètes. L'un d'entre eux présente ce qui semble être un Ancien Testament écrit en caractères hébraïques. La composition s'inspire d'un prototype ribéresque perdu, dont il existe plusieurs copies, la plus importante étant Jésus et les docteurs (Vienne, Kunsthistorisches Musem), attribuée en 1979 à Francesco Fracanzano (1612-vers 1656).
Dans La Dispute de philosophes, la physionomie de la figure centrale obèse, au torse dénudé, est inspirée, comme d'autres philosophes de Giordano (Le Philosophe Démocrite, Brescia, Pinacoteca Civica Tosio Martinengo, et Le Philosophe cynique, Cratès, Rome, Galleria Nazionale d'Arte Antica, Palazzo Corsini), d'un buste d'époque romaine dit de Démocrite (Rome, Museo Capitolino). C'est en comparant la figure de Bordeaux au Cratès Corsini (qui s'appuie aussi sur une béquille) que D. Fitz-Darby donne La Dispute de philosophes à Giordano. Les deux personnages principaux de l'œuvre font penser au philosophe qui rit, Démocrite, et au philosophe qui pleure, Héraclite, que la culture humaniste se plaisait à opposer depuis la célèbre fresque des Hommes d'armes de Bramante (Milan, Pinacoteca di Brera).
On remarque dans les deux Disputes de Bordeaux, comme dans le tableau de Vienne, l'expressionnisme des figures secondaires, bon exemple de la tendance des élèves de Ribera à l'exagération naturaliste sous l'influence des peintres nordiques présents à Naples. Tous ces éléments autorisent à dater les deux Disputes bordelaises de la jeunesse napolitaine de Giordano, avant son séjour à Rome (attesté en 1654), et plus précisément entre 1650 et 1652.
 
Jean Habert
 

 

Image de "Dispute des philosophes et Dispute des théologiens"© Musée des Beaux-Arts-mairie de Bordeaux. Cliché L. Gauthier

"Dispute des philosophes et Dispute des théologiens"© Musée des Beaux-Arts-mairie de Bordeaux. Cliché L. Gauthier