Henriette BOUNIN, résistante, peintre et galeriste

Ancienne résistante, peintre et galeriste, Henriette Bounin est une figure majeure de l’histoire et du développement de la vie artistique à Bordeaux des années 1960 à 1980. Elle est présente dans la collection du MusBA grâce à son œuvre Paysage du Lot-et-Garonne, acquise à la suite du legs du professeur Robert Coustet en 2020.
 

Henriette Bounin (1901-1980)
Paysage du Lot-et-Garonne
Gouache et huile sur papier
Legs Robert Coustet, 2020
 
Jeunesse et résistance

Henriette Bounin naît à Marmande en 1901. Sa jeunesse et ses débuts en peinture sont méconnus. Il semble qu’elle ait toujours eu un fort attrait pour l’art. Elle peint par plaisir personnel et se tient très à jour de l’actualité et des nouvelles tendances artistiques.

Sous l’Occupation allemande de 1940 à 1944, l’artiste rejoint, sans aucune hésitation, le mouvement de la Résistance française. Elle s’engage aux côtés du mari de son amie d’enfance, le général d’aviation Moraglia, résistant de la première heure, aussi connu comme commandant de région B sous le pseudonyme « Dufour ». Henriette Bounin est chargée de transmettre des messages confidentiels et accueille un grand nombre de clandestins et alliés français, dans sa propriété à Marmande, avant leur départ vers l’Espagne.

Une Galerie mythique à Bordeaux
En 1960, Henriette Bounin inaugure la célèbre Galerie du Fleuve à Bordeaux. Dès son ouverture, elle se veut être un véritable lieu de partage et d’échanges entre les peintres locaux et le public. Le souvenir de cette galerie, fermée à la fin des années 1970, et de sa directrice, reste encore aujourd'hui dans les mémoires bordelaises, c'est dire combien elle a compté dans l'histoire de la peinture bordelaise pendant de longues décennies.

En 1981, l’historien et professeur émérite Robert Coustet, spécialiste de l'art bordelais des XIXe et XXe siècles publie l’article Vingt ans d'activité artistique. Henriette Bounin et la galerie du Fleuve, dans la Revue Historique de Bordeaux et du département de la Gironde (Deuxième série - N°28). Il y décrit le quotidien de la Galerie du Fleuve, son rayonnement local et national, ainsi que l’ouverture artistique impulsée par sa directrice.
 
Un lieu dans l’air du temps
L'une des raisons du succès de ce lieu est d’être parvenu à faire se côtoyer artistes bordelais et parisiens, et de créer une véritable connexion artistique entre eux. A l'ouverture de la galerie, les membres du groupe Regard – collectif d’artistes né à la suite d’une rupture au sein des peintres de l’abstraction à la fin des années 1950 – constituent le cœur de l’équipe bordelaise, à laquelle Henriette Bounin se montrera toujours fidèle. Progressivement, les artistes parisiens se rendront à Bordeaux pour étendre leur cercle d’influences et iront à la rencontre des nouveaux peintres, témoins de leur temps.
 
« Henriette Bounin soutient un courant caractéristique de l’art français après la Seconde Guerre mondiale : une peinture de coloristes, amoureux de belles et riches matières et fidèles à une figuration très librement interprétée qui fit d’eux des « maîtres de la réalité poétique » (Robert Coustet, Revue Historique de Bordeaux et du département de la Gironde, n°28).

Ainsi, ce lieu d’art exposait des œuvres des peintures de la Réalité poétique, tels que celles de Brianchon (1899-1979), Genis (1922-2004) ou Guerrier (1920-2002), mais aussi des toiles non-figuratives, voire abstraite comme celles de Boissonnet (1906-1995), Henriette Lambert (1911-2020), Elisabeth Calcagni (1899-1969) et Mildred Bendall (1891-1977).
Une des principales caractéristiques de la Galerie du Fleuve, sans doute clé de sa réussite, résidait dans la diversité des médiums qui y étaient représentés. Sa directrice avait ouvert le champ des possibles en proposant à des sculpteurs, émailleurs ou encore tapissiers, d’investir pleinement le lieu, en complément des peintures déjà accrochées aux cimaises.

L’implication d’Henriette Bounin

La directrice de la galerie crée des temps forts pour capter l’attention du public. Elle organise des expositions en hommage à des maîtres de la peinture tels qu’Odilon Redon (1840-1916), André Lhote (1885-1962) et Othon Friesz (1879-1949) et accueille des artistes novateurs et brillants comme Mac Avoy (1905-1991) ou Jean Cocteau (1889-1963).
En plus de sa capacité à tisser des liens avec le public, Henriette Bounin est très attentive aux nouvelles orientations plastiques émergeantes. On dit d’elle « qu’avec une ouverture d’esprit et une sympathie qui forcent l’admiration, elle fit place, à côté des amis de toujours, aux plus jeunes et aux plus audacieux des Bordelais de la nouvelle génération comme Lestié, Bernar, Lagoutte… Jusqu’en 1980, la galerie du Fleuve fut le centre privilégié autour duquel gravita l’activité des peintres aquitains continuellement stimulés par la présence des Parisiens » (Robert Coustet, Revue Historique de Bordeaux et du département de la Gironde, n°28).

Elle animera la galerie du Fleuve jusqu’à sa mort, en 1980 à Agen.

L’hommage à Henriette Bounin

En 1981, le Centre National Jean Moulin, soutenu par la Ville de Bordeaux, publie un catalogue d'exposition intitulé Hommage à Henriette Bounin : peintre et résistante. À l’occasion de la publication de cet ouvrage, plusieurs artistes et personnalités témoignent de leur amitié, reconnaissance et admiration pour cette personnalité. L’ancien Maire de la Ville de Bordeaux (1947–1995) et Premier ministre (1969–1972), Jacques Chaban-Delmas, écrit à son propos :

L’histoire de chacune de nos vies devrait être celle de nos affections et de nos espérances, de nos combats pour réaliser celles-ci et pour être fidèle à celles-là. L’histoire de la vie d’Henriette Bounin en est la plus pure des illustrations.
Résistante, son héroïsme discret ;
Artiste, son indépendance et son goût de l’essentiel ;
Directrice de la Galerie du Fleuve, son dévouement à l’art et aux artistes, son courage et sa ténacité afin de prouver « qu’il n’est pas nécessaire de suivre les modes pour être de son temps » ;
Amie, son respect de la différence …
Henriette Bounin a été tout cela à Bordeaux pendant quelques décennies, figure de notre ville, je dirai même de notre « animation », en rappelant la racine de ce mot : « âme ».
L’admiration que j’ai pour elle est celle due au désintéressement total dans la vocation altruiste, à l’exemple pour le Bordelais, d’une vie au service de tous …
Henriette Bounin est présente puisqu’elle vit en nous.
Soyons lui fidèles.
Henriette Bounin, Paysage du Lot-et-Garonne © Mairie de Bordeaux, photo : F. Deval

Henriette Bounin, Paysage du Lot-et-Garonne © Mairie de Bordeaux, photo : F. Deval