Odilon REDON, Le Char d'Apollon

Odilon REDON (1840-1916), Le Char d'Apollon, 1909, huile et pastel sur carton.

Le char d'or s'élance dans l'azur du ciel mené par Apollon, dieu de la Raison, qui incarne l'esprit du monde classique. Le thème de cette œuvre est emprunté à la mythologie gréco-romaine. Quatre chevaux fougueux emportent vers le ciel où les couleurs du jour commencent à apparaître, le char d'Apollon. Le dieu solaire, représenté de trois-quarts, se tient debout dans son quadrige, fier et conquérant, partant d'un sommet de montagne rocheuse comme d'une rampe de lancement, tandis que son attelage est déjà lancé dans les airs. Le cheval de droite, se dresse et se cabre, tente un élan vers le zénith. Le paysage solide et minéral fait de monts arides et pierreux s'oppose à partir de la ligne d'horizon à l'espace ouvert et léger du ciel blanc.

De 1905 à 1910, Redon qui est un des plus grands représentants du symbolisme, se consacre à plusieurs reprises au thème d'Apollon en s'inspirant du plafond de la Galerie d'Apollon au palais du Louvre, chef-d’œuvre peint par Delacroix. Redon avait noté dans  son ‘Journal’ : «  Voici l'ouvrage qu'il fit dans toute la plénitude de son talent et de ses forces. Quelle en est la grande expression, le trait principal ? C'est le triomphe de la lumière sur les ténèbres. C'est la joie du grand jour opposée aux tristesses de la nuit et des ombres et comme la joie d'un sentiment meilleur après l'angoisse. » (Redon,"Journal",1867-1915). Le thème du char d'Apollon a également inspiré Gustave Moreau, lui aussi figure essentielle du symbolisme, notamment dans ses aquarelles représentant le char de Phaéton présentées à l'Exposition universelle de 1878. Redon admire et observe à cette occasion : « Nulle part, la représentation plastique de la fable n'a été formulée avec un tel accent de vérité. Il y a dans l'éclat de ces nuées, dans l'audacieuse divergence des lignes, dans l'âpreté et le mordant de ces couleurs vives, une grandeur, un émoi et, en quelque sorte, un étonnement nouveaux. »

Ainsi pour dépeindre Apollon, la divinité solaire par excellence, Redon délaisse ses Noirs inquiétants et revient à la couleur, privilégiant notamment le pastel dont les tonalités diaphanes et lumineuses conviennent à son univers onirique. « Un fantastique décor de rochers rouges aux replis profonds » (Bacou, 1956) fait la particularité de l'œuvre bordelaise. Ici, le brun-rouge sombre de la terre s'oppose au bleu lumineux du ciel. Les couleurs semblent ordonnées par des variations de traits qui traduisent le mouvement, l'énergie, la fougue de la scène. Le sujet pourrait se prêter au grand déploiement de la couleur. Or, Redon, tout en jouant du pouvoir expressif de la couleur, irradiante et chatoyante, en réduit considérablement la gamme. La composition triangulaire, légèrement décentrée, est dynamique, ascendante et traduit le mouvement impérieux des chevaux.

Deux séries d'éléments s'opposent : la fougue de l'attelage est opposée à la stabilité du paysage simplifié, irréel. Les figures, surtout celles des chevaux avec leur modelé précis, apparaissent sur le fond de l'espace éclaté et ouvert du ciel, dont les lignes de force semblent former comme une roue avec des rayons qui partent d'un point  central. Cette double opposition confirme le penchant de Redon pour un traitement synthétique de l'espace.

Les Chars d'Apollon de Redon évoquent le combat de la lumière contre l'obscurité, guerre symbolique, présente dans toutes les cultures, évoquée par Platon, omniprésente dans les théories gnostiques et ésotériques qui fascinent tant les symbolistes. Ces derniers entretiennent des liens avec la culture classique, revue souvent à travers la lecture de Nietzsche.

Apollon est chargé par son père Jupiter de répandre la lumière sur terre. Son char de feu est tiré par quatre chevaux qui symbolisent les quatre moments de la journée. Dans la symbolique universelle, il s'agit d'un thème ascensionnel qui renvoie à la purification spirituelle et à la conquête de soi. Les chevaux, sortant du monde souterrain, chtonien pour monter vers le ciel, deviennent dans leur course vers le firmament, des symboles du triomphe de la raison claire incarnée par Apollon.

Vingt-quatre Chars d'Apollon, que complètent le panneau Le jour à Fontfroide ainsi qu'une dizaine de compositions sur l'histoire de Phaéton, ont été traités par Redon dans ces années tranquilles que sont celles d'avant-guerre, années les plus lumineuses, les plus colorées, les plus douces : celles des grandes décorations, des dieux et des déesses, des fleurs et des papillons.


 

Odilon REDON, Le Char d'Apollon © Musée des Beaux-Arts, Ville de Bordeaux

Odilon REDON, Le Char d'Apollon © Musée des Beaux-Arts, Ville de Bordeaux